Catch
Texte Hakim Bah, Emmanuelle Bayamack-Tam, Koffi Kwahulé, Sylvain Levey, Anne Sibran
mise en scène Clément Poirée
avec Camille Bernon, Bruno Blairet en alternance avec Erwan Daouphars, Clémence Boissé, Eddie Chignara, Louise Coldefy, Joseph Fourez, Stéphanie Gibert, Thibault Lacroix, Pierre Lefebvre-Adrien, Fanny Sintès collaboration à la mise en scène Pauline Labib-Lamour scénographie Erwan Creff assisté de Caroline Aouin lumières Guillaume Tesson assisté d’Édith Biscaro costumes, masques Hanna Sjödin assistée de Camille Lamy musique, sons Stéphanie Gibert assistée de Farid Laroussi maquillages Pauline Bry-Martin régie générale, plateau Silouane Kohler assisté de Franck Pellé habillage Émilie Lechevalier, Solène Truong en alternance conseils catch Marc Mercier, Vince Greenleaf circassiens de l’Académie Fratellini Armand Delattre, Basil Le Roux, Mahamat Fofana, Markus Aarøy Vikse, Roberto Stellino
production Théâtre de la Tempête, subventionné par le ministère de la Culture en coproduction avec le TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine et le Théâtre de l’Union – CDN du Limousin avec la participation artistique du Jeune théâtre national avec le soutien du Fonds SACD Théâtre, du Fonpeps, de l’école Estienne, de Deck & Donohue avec la participation des apprentis du CFA des arts du cirque – L’Académie Fratellini.
Création 2021
Informations
CRÉATION
au Théâtre de la Tempête – Paris
du 9 septembre au 17 octobre 2021
au Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine
du 23 au 27 novembre 2021
DISPONIBLE EN TOURNÉE
à partir d’avril 2023
Contact diffusion : Guillaume Moog
assisté de Camille Charretier
tél. 01 43 65 66 54
productions@la-tempete.fr
Contact presse : Pascal Zelcer
tél. 06 60 41 24 55
pascalzelcer@gmail.com
Après ces longs mois de solitude et de silence, que déferlent sur nous les mots de la terre, les couinements stridents de ses créatures, que s’expriment enfin toutes nos pulsions contenues ! C’est sur un ring de catch que Clément Poirée et sa troupe de lutteurs nous invitent à un grand exutoire, à une grande purgation de nos passions. Catch ! comme le bruit des corps qui claquent sur les cordes et rebondissent aux quatre coins du ring. De la sueur, du sang et des larmes. Ni tout à fait théâtre, ni tout à fait combat, mais catch théâtral, avec des affrontements d’anthologie.
« Danser ensemble », écrit par Anne Sibran, vient clore le spectacle. Le catch terminé, le ring éteint, l’homme et la bête se retrouvent dans la nuit glaçante d’un abattoir, sous la lumière des veilleuses, parmi les bidons de graisse et les frigos.
Le temps d’un corps à corps, le grand esprit des animaux et le sacrificateur industriel vont oser une rencontre improbable : joute poétique jetée comme une passerelle au dessus d’un impensé, une de ces dissonances cognitives qui hante le purgatoire de notre humanité.
« Danser ensemble » Scène 1 Un abattoir de nuit, éclairage de veilleuses. Le moteur des frigos. Le ring est dans l’obscurité. Le ring est le poste d’abattage, l’endroit où travaille le sacrificateur industriel. Le grand esprit des animaux se promène dans la salle. Les bêtes mortes l’épient, sans oser se montrer.
Le grand esprit des animaux : -Raahhh !!! cette odeur !!! cette odeur !!! Où êtes-vous les bêtes ? (Il sifflote pour appeler les bêtes) Raaah !! La mort qu’ils vous ont fait ici ! Ça sent plus fort encore que vos fourrures qui trempent, que vos boyaux vidés ! Raaah !! cette odeur de mort vide, sans même la terre autour, cette odeur de mort-morte serrée entre quatre murs ! Où êtes-vous mes bêtes tendres , tellement, tellement tuées ? Écoutez : (Il sifflote encore) Vous m’avez reconnu ? Vous savez qui je suis. (Il sifflote encore) Approchez… là tout près, venez, mes bêtes mortes, mes filaments dorés. Je vous sens, tout autour mes efflanquées, trainant la patte, mes têtes chauves, tellement entassées dans les cages et vos becs et vos ailes brisées. (Se tournant vers un endroit où des bêtes sont cachées) Et vous petits, que faites-vous là, avec vos mufles tièdes, arrachés à la mère, avec vos yeux immenses trainés de force jusqu’au marteau ? Raahhh ! Tellement meurtries les bêtes, que vous voilà : figées d’effroi, tapies sous les palettes, par derrière les machines ou entre les frigos. Là, engluées de terreur n’osant pas m’approcher alors que mon cœur, depuis toujours, est fondu dans le vôtre… Venez, bêtes de gémissements, de souffles courts, de cris rentrés, venez : leurs couteaux sont rangés, leurs machines arrêtées, ils sont partis les hommes et comme souvent plus rien ne respire après eux, où ils étaient. Le massacre est fini, les bêtes, tout ce que vous aviez de chair, de plumes, de poils a été arraché dépiauté à grand bruit, à grands cris puis jeté dans les bacs, rangé dans les frigos. Le massacre est fini, ne reste plus de vous que ces fils clairs, luminescents, enchevêtrés par la peur. Ne reste plus que ces brins d’âmes, tellement précieux, et que leurs machines, leurs couteaux ne sauraient attraper. (Il monte sur le ring.) Là, si je m’assois là, les bêtes, est-ce que vous me voyez ? (Il sort sa flute) Écoutez, vous allez reconnaître : ça coule depuis la nuit des temps entre la terre et la mousse, entre l’écorce et le bois, entre la goutte et le vent… ça coule entre nous depuis toujours. (Il joue la flute, les bêtes s’approchent, montent sur scène, peu à peu, s’assoient autour de lui) Ah, enfin vous voilà… Une bête morte : -Qu’es-tu venu faire là ? Une autre bête morte : -Toi… Une autre bête morte : -Le grand esprit des animaux… Une autre bête morte : -Qu’es-tu venu te perdre ? Une autre bête morte : -Ici… Une autre bête morte : -Où plus rien ne respire… Une autre bête morte : -Où tout est en suspend… Le grand esprit des animaux : -Je suis venu vous chercher. La bête morte n’erre pas sans repos. Depuis toujours, la bête meurt et puis s’en va. C’est comme ça. Une bête morte : -Où veux-tu nous emmener ? Le grand esprit des animaux : -Dehors, où est la terre. Ici c’est rien. (Il commence à tourner autour des bêtes.) Comme l’araignée, qui mange sa toile avant la pluie, je vais vous enrouler brin après brin, tout autour de mon souffle puis je vous relâcherai où il y a la vie. Ah, mes bêtes tristes, mes bêtes folles, que n’êtes-vous tombées ailleurs, mortes au combat, embrochées sous les sapins, le sexe dur, lorgnant la biche, dans une clairière brumeuse ! Ou brisées par le vent, vos ailes éparpillées au passage d’un col ! Que n’avez-vous connu au bout d’une course exaltée, repues de sèves, brossées par les bruyères, les pattes vibrant encore de la rondeur des mottes et du roulis des pierres, que n’avez-vous connu l’accolade amoureuse de cette mâchoire : soudain serrée à votre gorge, de ces griffes qui vous percent, cette fourrure qui vous couvre, tandis que vous roulez, si tendrement léchées où jaillit votre sang ! Que n’êtes-vous tombées ailleurs ! les bêtes ! -Et qu’importe au fond, que ce fût sous la dent, la griffe ou même le feu de l’homme-, pourvu qu’il y eût un ciel à votre dernier souffle avec des yeux partout, dans les feuilles, dans les pierres, dans les herbes dressées ! Pourvu qu’il y eût sur vous ce regard qui coule entre la terre et la mousse, entre l’écorce et le bois, entre la goutte et le vent ! Ainsi regardées, aux glissées de la lumière sur vos fourrures ternies, vous auriez pris le temps d’entrer dans ce grand raidissement où la bête s’alourdit devient terre peu à peu, vos lèvres déjà noircies de mouches, vos chairs grignotées par l’en-dessous. Ah ! comme j’aurais voulu pour vous, une mort vivante ! Comme j’aurais voulu voir vos carcasses danser sous la voracité des vers tandis qu’auraient soufflé ces vents dorés de pestilences promenant alentour la promesse du banquet ! Ah ! découvrir autour de vos dépouilles tous ces sentiers tracés jusqu’à la bête morte ! Puis, votre chair en-allée, et vos os dispersés, là même où vous aviez perdu le souffle, où votre charogne se tenait : cette touffe d’herbe à peine plus verte, cette rondeur sous la mousse… (Décrivant ce qu’il y a autour de lui dans l’abattoir) Au lieu de ces mufles : là, jetés en tas. Ces sabots qui battaient le tambour des prairies : entassés dans les bennes. Et partout dans ces sacs : la farine de vos os… (Puis, regardant vers la salle.) Comment cette bête si répandue tellement bruyante, dressée sur pattes, lisse de peau ; comment a-t-elle pu vous vouloir une telle mort, cette bête, ayant pourtant même cœur que nous ? (Puis revenant s’accroupir devant les bêtes mortes :) Et d’ailleurs dites-moi, les bêtes, toutes mortes que vous êtes, pourquoi êtes-vous restées ici ? Que cherchez vous, mes brins précieux, dans cet endroit sans vie ? Est-ce d’être parties si vite ? Voudriez-vous sentir encore, la terre sous vos pattes le ciel à vos narines et ce souffle en-allé ? -Mais est-ce alors le bon endroit ? Serait-ce d’avoir si peu vécu, qu’il vous en faut un peu encore ? -La bête est-elle dans ces regrets ? Ou bien serait-ce, qu’ici, dans ce grand abattoir, l’homme vous a si mal tuées que quelque chose vous retient : ce geste, cette parole, qu’il n’a pas eu pour vous ? Il n’y a pas de fantômes chez les bêtes. Nous partons sans regrets. C’est comme ça ! Une bête morte : -Tu ne peux pas comprendre… Une autre bête morte : -Avec ton poil luisant. Une autre bête morte : -Tes forces entières. Une autre bête morte : -Tellement pleine de corps. Une autre bête morte : -Tellement libre de tout. Une autre bête morte : - Car l’homme nous a nourries quand même… Une autre bête morte : -Il me parlait souvent, quand j’étais à la ferme. Une autre bête morte : -A moi il a… Le grand esprit des animaux : (qui interrompt soudain d’une voix forte) -Redevenez des charognes ! Retrouvez votre juste place ! Parce qu’alors il y aura du partage ! N’attendez rien de l’homme les bêtes ! Ne restez pas ici ! Le grand esprit des animaux a repris sa flute. Les bêtes derrière lui commencent à danser. Cortège d’âmes brisées, boitillantes et qui sortent du ring joyeusement pour partir dans la salle derrière le grand esprit. Le grand esprit des animaux : -On s’en va ? Les bêtes mortes : -On s’en va ! (puis, joyeusement : ) -Oui, des charognes ! Redevenons des charognes ! Le grand esprit des animaux : -Je vous emmène mourir ailleurs. Mourir vraiment. Vous dissiper !