Ecuador, à cheval sur le milieu du monde…
« La rencontre avec le monde Indien n’est plus un luxe aujourd’hui. C’est devenu une nécessité pour qui veut comprendre ce qui se passe dans le monde moderne. »
J.M.G Le Clezzio. Haï
Pendant trois ans j’apprends le Quechua à l’Inalco. J’ai le projet d’aller vivre quelques mois au Pérou et en Équateur. La bourse de voyage (mission Stendhal) que j’obtiens en 2007 me permet de faire une première traversée des Andes depuis la Bolivie jusqu’en Équateur (ce qui donnera « Géographie du purgatoire » pour France Culture).
Fin 2007, quand j’arrive à Quito, la fascination que j’éprouve pour le pays est si puissante, que je parviens sans trop de peine à convaincre mon compagnon de venir habiter avec notre fils pour quelques mois en Équateur. Nous y resterons plus de trois ans, achetant une petite maison, nouant des amitiés et semant des projets qui me poussent peu à peu à construire un pont entre les deux pays, où je vis aujourd’hui en alternance.
Déployé entre les neiges éternelles des volcans (plus de 6000m d’altitude) et les savanes parfumées des rives du Pacifique, l’Équateur est le pays qui possède la plus grande variété d’écosystèmes du monde et où l’on rencontre aussi le plus grand nombre de cultures et de langues indigènes (les deux étant sans doute liés).
Palpitante, brumeuse, irisée, cette terre neuve éclairée par un soleil équatorial a quelque chose d’envoûtant.
J’ignorais en apprenant le Quechua qu’il m’ouvrirait à ce point les cœurs et les maisons. Très vite, je partage mon temps entre Quito et les communautés de la cordillère des Andes ou de la forêt amazonienne et les pays d’à côté tel le Pérou et la Bolivie. L’hospitalité’ des indigènes, leur authenticité, leur sagesse me bouleverse. J’y séjourne pour apprendre, réapprendre, une façon d’être au monde, une attention à l’invisible, une relation au vivant.
Cette immersion dans les villages, chez les mineurs de Potosi, sous les grands ceibos de la forêt permet de renverser les perspectives, faire germer la langue dans les marges, inviter l’animisme, révéler cette poésie présente dans chaque geste du quotidien.
Gardiens de la terre, grands écologistes (à leur insu, le plus souvent) les indigènes sont aussi extrêmement menacés par l’exploitation pétrolière et minière dans laquelle l’Équateur et les autres pays d’Amérique du sud se lancent frénétiquement depuis plusieurs années. Au cœur de l’Amazonie, le parc du Yasuni a l’une des biodiversités les plus riches de la planète, c’est aussi le refuge de deux peuples non contactés (les Taromenane et les Tagaeri).
Ainsi dans ce pays minuscule, la nature la plus intacte, des hommes dont l’empreinte écologique est la plus légère, côtoient l’ultra-technologie des multinationales responsables de la déforestation et de la disparition des savoirs traditionnels…
Au contact de ce petit monde où se concentrent la plupart des enjeux de la réalité d’aujourd’hui ont germé quelques utopies. Longtemps l’Équateur fut pour les Guaranis le lieu d’aboutissement de leurs migrations vers la « Terre sans mal » un genre de paradis sur terre…
Il ne s’agit pas de recréer quelque chose qui n’est plus, -car le pays connaît comme le reste du monde les assauts et les effets de la mondialisation-, mais au moins d’y semer quelques graines qui nourrissent toutes tes projets d’écriture, mais pour lesquelles je vais me contenter pour l’instant (car tous ces projets sont en cours) de dresser une galerie de portraits …
Vous y rencontrerez un jardinier-artiste, inventeur de forêts primaires, un professeur de l’Université Andine de Quito qui lutte depuis plus de trente contre l’extraction minière, un spécialiste des poissons des forêts humides qui a ouvert au cœur du Yasuni une université qui, s’applique, dans ce compte à rebours vertigineux, à collecter les espèces de cette bibliothèque vivante avant que la déforestation ne détruise pour reprendre ses mots « des livres qu’on n’aura même pas pris la peine de déchiffrer »…
Vous y rencontrerez aussi tous ceux qui m’ont formée, et qui continuent de m’instruire : tels que ce preneur de sons, sensible à l’unité des « paysages sonores » et luttant pour que l’harmonie d’un paysage ne soit pas profanée (Knud Viktor) ; ce peintre d’arbres, de traces et de terres qui a mis pendant plus de vingt ans sous l’humus de ses toiles « Le chant d’Amergin » un des plus vieux chants chamaniques d’Angleterre (Ashley Ashford Brown) ses toiles un des premiers chants chamaniques d’Angleterre, ou ce poète aveugle déporté à Buchenwald (Jacques Lusseyran) et dont l’engagement indéfectible dans la joie et pour ce qu’il ressent comme une cause juste continue de m’inspirer.
Vous y rencontrerez enfin quelques personnages apparemment anodins mais qui contribuent chacun à sa façon à accompagner la terre dans cette éprouvante traversée.