Lecture par Romane Bohringer
Festival de rencontres théâtrales internationales, La Mousson d’été se tient jusqu’au 28 août à Pont-à-Mousson, en Lorraine. L’occasion de (re)découvrir des textes très forts, parfois même de petits bijoux.
La spécificité de ce festival créé en 1995 par le metteur en scène et comédien Michel Didym est de faire connaître à travers des mises en espace des pièces dont les metteurs en scène qui les y découvrent s’empareront dans les saisons à venir. Il est vrai que les textes ont été sélectionnés par un comité de lecture dont les membres sont pour la plupart épris de francs-tireurs du langage.
Hormis un montage réalisé par Maîté Nahyr de l’Egyptien Alaa El Aswani, auteur de L’Immeuble Yacoubian, cette année est consacrée à des œuvres de dramaturges européens. N’ayant pu y rester que le temps d’un week-end, nous n’avons découvert qu’une minime partie des joyaux offerts à la curiosité d’un public composé pour une large part de passionnés de la scène inscrits à une université d’été. L’une de ces merveilles écrite par la Française Anne Sibran a pour titre Je suis la bête. Elle débute par cette phrase : « Un jour ils m’ont poussée dans un placard puis ils ont refermé la porte. Et je ne les ai jamais revus. Ni la femme qui m’a sortie de son ventre. Ni l’homme qui me portait un peu. » L’irruption dans la cache d’une chatte sur le point d’allaiter ses petits va l’aider à survivre. L’animal lui « offrira » également des petits mammifères qu’elle vient de tuer.
Petit à petit, la petite fille se régénerera au contact de la nature qu’elle a rejointe. Romane Bohringer, interprète rêvée de ce récit qui évoque ce fond de bestialité que des siècles de savoir-vivre avaient refoulé, donne dans ce monologue poétique le sentiment que les mots montent de sa nuit. Elle retrouvera finalement le monde des humains mais ceux-ci, effrayés par son inaltérable étrangeté, se persuaderont qu’elle a l’esprit dérangé et la rejetteront. Bannie une fois de plus, elle regagnera la forêt. En ces temps qui ne proposent d’autre alternative que de devenir un individu standardisé et consumériste, voici enfin un texte qui nous emporte loin de cette civilisation sur le déclin.
Télérama le 24 août 2008
La Mousson d’été, petit marché de la pièce de théâtre
Le festival la Mousson d’été, où 27 textes inédits sont lus de vendredi à mercredi à Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), attire chaque année des dizaines de professionnels du théâtre, qui viennent y faire leur marché.
Pour la 14e édition de la manifestation, une quarantaine d’entre eux se sont déplacés des quatre coins de l’Hexagone, d’Italie, d’Espagne ou de Belgique afin de dénicher la perle rare, qu’ils pourront créer dans leur théâtre, selon l’organisation. Environ 45% des œuvres présentées à la Mousson d’été sont ainsi mises en scène dans les deux années suivantes, de même source.
Les pièces sont présentées à nu, sans décor ni costume. Les acteurs se donnent la réplique le texte à la main, à l’instar de Tchéky Karyo, venu au festival pour rencontrer des «auteurs inconnus» en France et «faire (ses) gammes en lisant des textes dont (il) ne (connaît) pas la teneur». De rares effets sonores donnent aux écrits un semblant de perspective dans les petites salles de l’abbaye des Prémontrés, où la plupart d’entre eux sont joués.
«On fait confiance aux spectateurs. On leur fait tout imaginer. On produit des images dans leur tête», explique le metteur en scène Michel Didym, directeur et créateur de la Mousson d’été.
Pour le texte d’Anne Sibran Je suis la bête, sorte de «conte pour enfant» qu’il dirigeait mais que n’a pas vu l’AFP, il y avait «un guitariste, une ampoule rouge, et Romane Bohringer sur scène», raconte M. Didym. «Le public a vibré, a pleuré, a ri.»
D’autres écrits touchent moins leur cible. Les veuves du président, du jeune auteur de Mayotte Alain Kamal Martial, qui décrit les relations complexes d’un chef d’État africain avec son entourage, provoque autant de rires qu’il agace par son côté répétitif. Égypte équivoque, texte pourtant très riche de Alaa el-Aswany, l’auteur de L’ Immeuble Yacoubian, dirigé par Maïté Nahyr, laisse les spectateurs sur leur faim, malgré sa mise en scène plus avancée. Monsieur Paul n’est pas commun, lu par son auteur Hervé Blutsch, divertit sans captiver. «Ici, toutes les couleurs de l’écriture contemporaine sont représentées. Il y a des comédies, des textes politiques, d’autres très poétiques, des parodies, des contes très philosophiques…», énumère Michel Didym.
Les écrits étrangers sont traduits pour l’occasion. «Les diffuseurs viennent entendre les textes. Ils sentent leur potentiel», observe-t-il. «Quand je me déplace à la Mousson d’été, c’est d’abord pour découvrir les écritures de tous ces pays», confirme René Peilloux, directeur du théâtre du pays de Morlaix (Finistère). «Ensuite, je vois si je peux accueillir un spectacle.» La commission centrale de l’enfance, de David Lescot, jouée samedi dernier après avoir été présentée en 2006 aux Moussons d’été, a plu au directeur breton. «Alors on a signé. Le contrat est fait, annonce-t-il. Il viendra une semaine à Morlais.»
Joris FIORITI (AFP), le 1er septembre 2008