Après huit mois de « vacances », l’Université populaire du voyage d’Albertville fait sa rentrée, vendredi. Première invitée cette saison : Anne Sibran. À la suite de Reza, Jean-Joseph Boillot ou Olivier Weber, l’écrivaine et intervenante sur France culture, amoureuse des peuples nomades de la forêt amazonienne, viendra elle aussi partager ses expériences de l’ailleurs. Le thème de la soirée : la rencontre avec l’autre. Un domaine dans lequel Anne Sibran a de quoi dire. Elle qui tente de percer les secrets d’un peuple « non-contacté » les Taromenanes appelés aussi « les Invisibles ».
Le moment de la rencontre, vous le décririez comment ?
« La rencontre, c’est rentrer dans un espace que l’un et l’autre vont inventer. Un espace qui est parcouru de ressentis, d’impressions, parfois de préjugés ou de tendresse. L’important c’est de respecter cet espace, de laisser à l’autre l’espace pour qu’il s’approche ou pas. Notamment en respectant le périmètre de tolérance de l’autre. Celui-ci est plus ou moins réduit selon les gens, les pays… Si vous vous baladez en Afrique par exemple, vous êtes sans cesse bousculés, attrapés… Ce qui n’est pas du tout apprécié, ici, en Europe. »
Vous avez dû faire des centaines de rencontres… Est-ce que l’une d’elle vous a davantage marquée ?
« Tous mes voyages sont remplis de rencontres éblouissantes. La plus récente s’est passée dans le Yasuni, au cœur de la forêt amazonienne, où je travaille sur un peuple « non-contacté », les Taromenanes. J’ai rencontré un homme, Tahuya qui, après avoir été kidnappé, évangélisé, puis forcé à travailler pendant 20 ans pour les pétroliers pour gagner sa liberté, est revenu sur ses terres et a remis ses habits traditionnels. C’est un bel exemple de résilience. »
Et comment êtes-vous rentré en contact avec lui ?
« J’étais dans un campement et Tahuya est passé à côté de moi en chantant. Je lui ai dit « C’est beau ce que vous chantez ». Il m’a proposé de venir voir sa maison et en arrivant, la première chose qu’il a faite, c’est me couper une branche de palme et me tresser une couronne. »
Il doit aussi y avoir des rencontres plus compliquées ?
« On n’est pas toujours là au bon moment, il y a parfois des quiproquos, des tensions… ça n’est pas pour ça que c’est une « mauvaise » rencontre. Pour moi, toutes les rencontres sont précieuses. »
Vous ne pouvez pas approcher les Taromenanes. Comment fait-on pour rencontrer « de loin » ?
« En rencontrant les gens qui les frôlent, en allant à la lisière de leur territoire… car ils laissent des traces. Je suis persuadée que la rencontre peut se faire même sans être en face à face. »
Pourquoi ne pouvez-vous pas les approcher ?
« Ça serait dangereux. Pour eux déjà , car je pourrais leur transmettre des microbes. Et puis pour moi, car c’est un lieu de lutte à cause notamment des trafiquants de bois. »
Mais il n’est pas nécessaire de partir loin pour expérimenter la rencontre…
« Bien sûr que non. C’est aussi le message que je veux faire passer. Les premiers textes que j’ai écrits, j’étais écrivain voyageur dans le 18e à Paris, rue Mira. C’est bien de se promener dans son quartier comme si l’on était en voyage. Il y a réellement la même variété et la même richesse de rencontres ici qu’ailleurs. Si on prend la peine, on peut découvrir de vrais trésors. Il suffit d’avoir de la curiosité pour l’autre. »
Par Propos recueillis par Mélissa DEPEYRE | Publié le 22/01/2015