Le dessin de Didier Tronchet, d’une naïveté assumée, et le texte de sa compagne, Anne Sibran : une osmose totalement réussie !
Entre onirisme et réalisme, entre mythe et réalité, ce livre est une fable qui nous plonge, avec une espèce de poésie lucide, dans le monde qui est le nôtre, un monde qui se déshumanise par la faute de ses tristes passés.
Didier Tronchet nâ’est pas, loin s’en faut, un nouveau venu dans le monde de la bande dessinée. Mais, désormais, et ce depuis quelques albums, il s’est éloigné de ce qui a fait son sucés à une époque : » deux cons « , ou » Raymond Calbuth « . Et aujourd’hui, loin des modes et des routines créatrices, le voici aux commandes d’un livre intelligent, humaniste, habité par une belle chaleur.
Sous des airs faussement naïfs, il nous raconte une histoire aux couleurs universelles, celle d’un jeune Indien d’Amérique latine, possédant un » don « , et confronté à l’horreur d’un labeur vieux de plusieurs siècles, celui d’une mine d’argent. A partir d’un canevas tout compte fait simple, Tronchet construit son scé©nario sans à -coups, avec une évidente tendresse pour son héros et pour les quelques autres Indiens qui l’entourent. Nous sommes en face d’un fantastique à taille humaine, dans ce livre, et le sens de l’ellipse dans le scénario accompagne parfaitement le plaisir que ressent Tronchet à nous offrir, au travers de son dessin, une espèce de symbolisme sans fioritures.
Et parmi les personnages qui font vivre ce livre, il y a aussi un prètre, un homme de Dieu qui prône la théologie de la révolte plutôt que l’agenouillement béat. Il faut dire que, au centre de ce monde du dessous, il y a une montagne qui abrite la mine d’argent, et, dans cette montagne, un » diable » que les conquistadores, il y a bien longtemps, ont enfermé. Il fallait donc un pendant à ce diable pour que le récit abandonne l’anecdote géographique pour devenir fable universelle.
Pour Didier Tronchet, les réalités ne sont pas telles qu’on nous les apprend. Il lui faut, et à nous aussi, en parallèle de ses dessins, dépasser les simples apparences. Le diable n’est pas le Mal. Il est, et là aussi à taille humaine, une des forces de l’existence, et sa libération des antres de la terre où la civilisation l’a enfermé devient une chance de renouveau pour l’humanité.
C’est aussi la force et l’intelligence de cet album, d’ailleurs : de nous faire découvrir, au travers d’un monde quelque peu exotique, en usant d’un sens tranquille du lyrisme, les entrailles du monde qui est le nôtre, et ce en nous faisant partager le quotidien de quelques personnages hauts en couleurs.
Ce livre n’est pas né par hasard, c’est une évidence. Il est né d’une rencontre avec un pays, avec un peuple, avec une réalité tangible. Une rencontre vécue par Anne Sibran, auteure du roman dont est inspiré cet album dessiné. Auteur et complice très proche de Didier Tronchet. Le lien qui les unit n’est pas étranger à l’intelligence de l’adaptation d’un roman en planches de bd. Le graphisme se Tronchet, ici, éclairé de lumières multiples et omniprésentes, est certainement celui qu’il fallait pour nous faire aimer les personnages décrits et racontés, et pour en faire, surtout, comme des compagnons de route de nos propres vécus.
» Le monde du dessous » est un livre qui, serein dans sa construction, classique dans sa forme narrative, ne peut pas laisser indifférent. Par la force de son scénario, d’abord, qui, en raccourcis étonnants réussit à mêler la mythologie indienne et la haute finance actuelle. Par l’unité, également, qui règne, de page en page, entre le graphisme de Tronchet et le texte de Sibran.
Un excellent livre, donc, tout en intelligence, à découvrir sans retenue !
Jacques Schrawen RTBF
Le monde du dessous (dessin : Didier Tronchet – scénario : Anne Sibran -“ éditeur : Casterman)