Du haut de l’Altiplano bolivien, Anne Sibran fait palpiter l’esprit andin.
Anne Sibran, écrivain à plusieurs cordes (scénariste de BD, auteure de romans et de livres pour la jeunesse), a appris le quechua. Et c’est à celui qui lui a transmis « cette langue Magnifigue » ainsi qu’ « aux paysans de la montagne et de la forêt » qui la parle, qu’elle dédie ce roman ardant où palpite l’âme de l’Altiplano.
L’Indien au sang mélé, qui agonise au fond de la mine de la Montagne d’argent dominant la ville bolivienne de Potosi, appartient à « ce peuple-là , mettant dix mots au moins dans les nuances de l’aube, qui, chaque matin, escalade la montagne pour descendre dans la nuit ». Le Cerro rico, « la montagne riche » comme l’ont nommée les colonisateurs espagnols, « Walaurku, la montagne de sang » pour les Indiens, qui culmine à près de 5 000 mètres d’altitude, est ici seulement appelée « la Montagne », avec respect et crainte. La jambe broyée sous un rocher, Agustin Osorio est prisonnier dans ses entrailles, rongées d’innombrables et dangereux boyaux, après plus de quatre siècles d’extraction intensive du minerai. Il est volontairement descendu pour demander des comptes au Tio, le Diable protecteur des mineurs, dont on sollicite la clémence en offrant alcool et feuilles de coca à ses statues d’argile, à l’entrée des galeries. Une idole inventée par les Espagnols. Dans une apostrophe bravache et désespérée, le condamné évoque ses quatre pères : son géniteur, métis violeur de sa mère indienne, le berger paysan qui lui a donné son nom, le Padre Pio, un Blanc qui lui a appris à lire et à écrire, et le « Yachah », un chaman initiateur qui sait appeler la pluie en faisant pleurer les grenouilles.
Dans La montagne d’argent n’est pas le récit dénonciateur d’un génocide et d’une acculturation même si le roman raconte la fièvre de l’argent, la déportation, la décimation de millions d’Indiens devenus esclaves de la mine. Dans la veine des hommages amoureux aux « hautes terres » du Péruvien José Maria .Arguedas, avec des élans de poésie cosmique, Anne Sibran écrit une oraison à la spiritualité indienne, aux dieux des temps anciens qui s’invitaient dans le corps des bêtes et des lieux, une ode aux montagnes, marraines des nouveau-nés, qui parlent, mangent, se coiffent, se fâchent, tombent amoureuses, menacent et se vengent.
Véronique Rossignol